Hier,
je ne savais pas encore. C’était une journée difficile. Une journée subie, à
peine vécue. Une fatigue inexplicable me maintenait dans un état second. Je
n’avais pourtant pas bu d’alcool, je n’avais pas étudié toute la nuit, j’avais
mangé équilibré, pris mes Omega 3, avalé ma vitamine D, fait ma séance de
luminothérapie, tout ça. Malgré une première sieste entre 9 h et 11 h, puis une
deuxième entre 13 h et 15 h 30, dès 21 h, je tombais, épuisée, presque
comateuse. On aurait dit que quelque chose en moi s’était engourdi. Était-ce
mon âme qui vibrait autrement plus fort que d’habitude? S’agissait-il d’un
travail éblouissant et obscur qui se produisait dans mon inconscient? quelque
chose comme une incubation? Peut-être. Pour sûr, ça fourmillait. Il ne me
restait qu’à laisser faire, laisser aller, dormir.
Quand
on m’a appris ce matin que tu agonisais à l’hôpital, j’ai pensé que j’étais passée
de l’autre côté, un peu, avec toi, grand-maman. J’avais repris des forces parce
qu’après ceux qui partent, ceux qui restent doivent redoubler de courage. Faudra passer l’hiver, après tout.
Je
ne t’avais jamais entendue dormir, grand-maman. Ton souffle est calme et ronronnant,
c’est tellement doux. Quand mes fils dorment, c’est pareil, la même
conversation sans mots. L’inspiration et l’expiration, quand on prend le temps
de les entendre, en disent long. Ta respiration porte la voix de l’enfant que
tu as été, puis de la femme et de la mère aimante que tu es devenue. Si tu
voyais ça, grand-maman, dehors il neige et les flocons montent autant qu’ils
tombent. C’est cliché de dire « les flocons dansent », mais il semble
bien que c’est ce qu’ils font, les flocons. Ils dansent.
Quand
j’ai appris à ton arrière-petit-fils Léopold que tu étais en train de mourir, il a baissé les épaules et a regardé loin devant, au fond de
lui-même, puis il m’a fixée d’un regard de cent ans. Un regard de cent ans, sur
le visage d’un petit gars de quatre ans, c’est grand, c’est beau. Après, il a
demandé si lui et son frère allaient pouvoir manger tous les bonbons que tu
gardais pour tes petits enfants dans ta chambre.
Et on a ri.
Il
paraît que tu as ri, hier, en revoyant chacun de tes enfants. Il parait
que tu étais prête, que tu avais hâte, même. Tes enfants t’ont promis de
demeurer unis même si tu ne serviras plus de carrefour pour les rencontres.
Grand-maman.
J’ai envie de te dire que je suis heureuse. Oui. Je suis contente pour toi que
tu sois en train de partir, vraiment. Novembre est un beau mois pour mourir. Le
paysage appelle l’hibernation. Tu t’enroules comme les feuilles sous la neige,
lovée contre ton temps passé, vers ton éternité, dans la douceur flottante et profonde
de ton sommeil. Grand-maman. J’ai envie de te dire que ce n’est pas la mort qui
t’emporte. C’est l’amour qui t’enveloppe. Et j'ai envie de te dire merci, oh! oui. Grâce à toi, aujourd'hui, j'ai redécouvert à nouveau comme l'écriture m'emporte loin d'ici.
Bon
voyage, douce grand-maman. Merci pour tout.
-
Mylène
Ton texte est très touchant. J'aime lorsque tu décris comment tu te sens. Le passage du mois de novembre propice au départ de ta grand-maman est poétique et tu me permets un nouveau regard sur la mort.
RépondreSupprimerMerci beaucoup. Je suis très heureuse que mes mots vous touchent.
SupprimerBlanche 29 novembre 2016
RépondreSupprimerMylène, c'est la première fois que je te lis et je suis vraiment impressionnée. Tes mots sont des caresses pour la merveilleuse grand-mère que tu as pu conserver aussi longtemps. Tu l'enveloppes de ton amour et, tout doucement, nous nous enroulons à notre tour dans ce duvet chaleureux. Que lui offrir de mieux?
Chère Blanche-Estelle, merci pour tes bons mots et merci de m'avoir lue. xx
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